HomeBlogueInnovations juridiquesY a-t-il des limites à la limitation de responsabilité?

Y a-t-il des limites à la limitation de responsabilité?

Le 15 octobre dernier, la Cour suprême du Canada a rendu une décision concernant le droit civil québécois en matière contractuelle dans l’affaire 6362222 Canada inc. c. Prelco inc.[1] .

La société 6362222 Canada inc. (ci-après « Créatech ») a été engagée pour fournir des logiciels et des services professionnels afin d’implanter chez Prelco inc. (ci-après « Prelco ») un système de gestion intégré. Le contrat signé par les parties comprend des dispositions portant sur les responsabilités générales des parties dont, notamment, la clause intitulée « Responsabilité limitée », qui se lit comme suit :

    • La responsabilité de Créatech face au client pour les dommages attribuables à quelque cause que ce soit et sans égard à la nature de l’action, qu’elle soit prévue à l’entente ou délictuelle, sera limitée aux sommes versées à Créatech aux termes de l’Entente, à moins que de tels dommages ne résultent de la négligence grossière ou de l’inconduite volontaire de Créatech. Si tels dommages résultent de la déficience des services, la responsabilité de Créatech sera limitée au montant des honoraires payés relativement auxdits services déficients.
    • Créatech ne pourra être tenu responsable pour quelconque dommage résultant de la perte de données, de profits ou de revenus ou découlant de l’utilisation de produits ou pour tout autre dommage particulier, consécutif ou indirect relativement aux services et/ou matériaux fournis en vertu de l’Entente, à moins que tel dommage ne résulte de la négligence grossière ou de l’inconduite volontaire de Créatech.

Des problèmes surviennent lors de l’implantation du système et Prelco met fin à sa relation contractuelle avec Créatech. La suite du mandat est confiée à un autre fournisseur de services. Prelco poursuit Créatech pour le remboursement d’un trop payé, des frais engagés pour rétablir le système, des réclamations des clients ainsi que des pertes de profits. De son côté, Créatech dépose une demande reconventionnelle pour le solde impayé pour le projet.

La Cour supérieure accueille la demande de Prelco. La Cour d’appel rejette l’appel principal de Créatech concernant la clause limitative de responsabilité et l’appel incident de Prelco quant au calcul des dommages intérêts.

La Cour suprême accueille le pourvoi. La théorie du manquement à une obligation essentielle ne s’applique pas à la faute commise par Créatech de façon à invalider la clause de limitation de responsabilité. Aucun des fondements juridiques sur lesquels peut reposer cette théorie ne trouve application : la clause est valide en ce qui concerne l’ordre public et l’exigence relative à la cause de l’obligation.

La Cour supérieure confirme donc la validité de principe des clauses de non responsabilité en droit civil québécois basée sur l’autonomie de la volonté des parties et la liberté contractuelle. Cette validité est toutefois limitée par des considérations d’ordre public. Sont donc interdites les clauses de limitation de responsabilité en cas d’insouciance, de fraude, d’incurie et de fautes délibérées. De même, nul ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour un préjudice corporel ou moral. Dernièrement, il existe une limite visant à protéger la partie contractante présumée plus faible économiquement, mais seulement dans les cas des contrats de consommation et d’adhésion caractérisés par le déséquilibre des parties. Il est donc possible d’exclure ou de limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui en raison d’une faute non intentionnelle ou d’une faute qui n’est pas lourde, comme en l’espèce.

La notion de la cause de l’obligation ne peut, elle non plus, justifier l’intervention des tribunaux inférieurs dans cette affaire. Le travail de Créatech a été jugé utile. La cause est donc présente. De plus, la clause n’exclut pas toute sanction. Il n’y a donc pas une absence totale de contreprestation dans ce contrat. La cause de l’obligation ne permet pas au tribunal de créer un régime de lésion entre majeurs non protégés.

En somme, les tribunaux inférieurs ont commis une erreur de droit en jugeant inopérante la clause limitative de responsabilité prévue au contrat. Cette clause n’est pas ambiguë et ne pouvait être écartée. Il faut respecter la volonté des parties. Il est donc permis de limiter sa responsabilité, sous réserve des limites imposées par des considérations d’ordre public.


[1] 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., 2021 CSC 39.

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