HomeBlogueInnovations juridiquesActualités juridiquesViolation du Code de soumission du BSDQ : la preuve du lien de causalité est requise

Violation du Code de soumission du BSDQ : la preuve du lien de causalité est requise

Le Bureau des soumissions déposées du Québec (le «BSDQ») est un organisme créé par diverses associations liées au secteur de la construction. Sa mission : «permettre aux entrepreneurs généraux et spécialisés, et ultimement aux propriétaires, de bénéficier des bienfaits d’une saine concurrence par l’application d’un Code de soumission» (le «Code»).

Le Code de soumission

Le Code s’applique lorsque le donneur d’ordre y assujettit son appel d’offres ou bien dans le cas de travaux découlant d’une spécialité énumérée à son annexe I. Il emploie les termes «entrepreneur destinataire» pour définir les entrepreneurs généraux à qui sont présentées les soumissions des entrepreneurs spécialisés.

Dans un jugement récent, la Cour supérieure a dû se prononcer sur l’application de l’article J-7 du Code. Cette disposition s’applique aux cas pour lesquels l’entrepreneur destinataire n’a reçu qu’une seule ou aucune soumission en lien avec la spécialité requise par les travaux. Elle prévoit que le BSDQ peut transmettre à l’entrepreneur destinataire les noms d’entrepreneurs spécialisés ayant soumissionné dans la spécialité des travaux. Le cas échéant, l’article J-7 prévoit qu’il revient à l’entrepreneur destinataire de communiquer avec ceux-ci. Si l’un de ces soumissionnaires souhaite présenter sa soumission à  un entrepreneur destinataire, le contrat ne peut être octroyé «qu’aux prix et conditions de l’une des soumissions qu’ils avaient déposés au BSDQ à l’intention d’un ou de plusieurs entrepreneurs destinataires». Cet article permet donc à l’entrepreneur destinataire de prendre connaissance des soumissions des entrepreneurs spécialisés dans la préparation de son appel d’offres.

Les faits 

Cette affaire découle d’un appel d’offres lancé par la Ville de Montréal (la «Ville») pour la réfection d’une piscine municipale. Cet appel d’offres est assujetti au Code de soumission. Au terme du processus, la Ville doit retenir la soumission conforme offrant le plus bas prix.

Savite inc. («Savite») dépose une soumission au BSDQ à titre d’entrepreneur spécialisé en maçonnerie à 6 entrepreneurs destinataires, incluant Procova. Cette soumission s’avère être la seule reçue par Procova, laquelle souhaite déposer une soumission à titre d’entrepreneur général à la Ville.

Ce faisant, Procova se prévaut de l’article J-7 du Code et requiert du BSDQ qu’il lui transmette les noms des soumissionnaires spécialisés ne lui ayant pas présenté d’offre. Une fois ces noms reçus, un représentant de Procova transmet le formulaire approprié au BSDQ pour l’informer des noms des soumissionnaires spécialisés qu’elle considèrera. Ce formulaire contient une case à côté de laquelle figure la mention «refusé», qui est cochée par le représentant. Bien que Denpro inc. («Denpro») ait initialement informé Procova de son désintéressement à faire affaire avec elle, le contrat lui est octroyé et Procova dépose à son tour une soumission à la Ville. Au terme du processus d’appel d’offres, la Ville retient la soumission de Procova. Or faute de temps, Denpro donne le contrat de Procova en sous-traitance.

Lorsqu’elle constate que Procova a octroyé le contrat à Denpro, Savite leur précise qu’elle est la plus basse soumissionnaire conforme et que par conséquent, elle aurait dû obtenir le contrat. Pour cette raison, Savite intente une action en dommages-intérêts, réclamant 127,625.51$ pour pertes de profit.

La décision

Les questions en litige sont les suivantes:

1) Les règles du Code de soumission du BSDQ sont-elles génératrices de responsabilité civile?

2) L’acceptation de la soumission de Denpro par Procova constitue-t-elle une violation des règles du Code de soumission du BSDQ qui équivaut à faute contractuelle?

3) S’il y a faute, Savite a-t-elle prouvé une perte de profits et un lien causal avec la faute?

La Cour répond par l’affirmative à la première question. Quant à la deuxième question, elle est d’avis que Procova n’a pas respecté l’article J-7 du Code. En effet, cette disposition prévoit qu’«il appartient à cet entrepreneur destinataire de communiquer s’il le désire avec ces soumissionnaires». En l’espèce, la Cour retient que Procova a coché la case «refusé» dans le formulaire. Ce faisant, «Procova indiquait alors au BSDQ qu’elle refusait la soumission de Denpro». Ainsi, elle ne pouvait par la suite retenir cette soumission. De plus, la Cour rejette l’argument de Procova fondé sur l’erreur de bonne foi de son représentant.

La Cour ajoute qu’«il s’agit d’une violation des règles reliées à l’octroi de contrats au plus bas soumissionnaire conforme».

En ce qui concerne la dernière question, la Cour répond par la négative. En règle générale, le soumissionnaire victime d’une faute contractuelle a droit à une compensation pour pertes de profit lorsqu’il démontre l’existence d’un lien de causalité. Or selon Savite, il n’est pas nécessaire de démontrer que la Ville aurait octroyé le contrat à Procova si cette dernière avait retenu sa soumission. De son côté, Procova est d’avis que sa soumission n’aurait pas été la plus basse parmi les entrepreneurs destinataires si elle avait retenu la soumission de Savite, celle-ci étant plus élevée que celle de Denpro.

D’entrée de jeu, la Cour précise qu’il n’existe aucun précédent sur la relation tripartite dont il est question, «à savoir la présence d’un soumissionnaire lésé (Savite), d’un entrepreneur destinataire fautif (Procova) et d’un donneur d’ouvrage (la Ville)».  Après analyse, la Cour énonce que le lien de causalité doit être établi:

[78]     […] Même s’il n’existe pas de précédent portant sur la dynamique tripartite « soumissionnaire-entrepreneur destinataire-donneur d’ouvrage », la jurisprudence portant sur les cas de relation bipartite « soumissionnaire-donneur d’ouvrage » s’applique intégralement ici de l’avis de la Cour.  Conclure autrement violerait non seulement les principes de base de la responsabilité civile contractuelle, mais conduirait également à des situations totalement injustes et économiquement non fondées.  Si l’on acceptait la thèse de Savite, cela signifierait qu’un soumissionnaire ayant présenté une soumission avec un montant astronomique, totalement hors norme, pourrait être indemnisé en cas de faute d’un entrepreneur destinataire, peu importe la réalité économique de savoir si ce dernier aurait ou non eu le contrat du donneur d’ouvrage.  La Cour réitère que la causalité doit s’appliquer ici, comme dans tout recours civil. […]

Ainsi, la Cour rejette le recours de Savite puisque selon la balance des probabilités,  la Ville n’aurait pas retenu la soumission de Procova.

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