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Jugement récent : La Cour supérieure déclare légale la vente par Internet de lunettes et de verres de contact de prescription

Par un jugement rendu le 3 décembre dernier dans l’affaire Ordre des optométristes du Québec c. Coastal contacts inc. (que vous pouvez lire en cliquant ici), la Cour supérieure du Québec a déclaré légale la vente par Internet de lunettes et de verres de contact de prescription. 

Dans cette affaire, l’Ordre des optométristes du Québec demandait à la Cour supérieure du Québec de rendre un jugement déclarant que la vente, par des personnes qui ne sont pas membres de l’Ordre des optométristes du Québec à des clients du Québec, par l’entremise de sites Internet, de lentilles ophtalmiques (plus précisément de lunettes et de verres de contact requérant une prescription) contrevenait à la Loi sur l’optométrie et au Code des professions. 

L’Ordre des optométristes du Québec fondait sa demande sur l’article 16 de la Loi sur l’optométrie qui édicte que « Constitue l’exercice de l’optométrie tout acte (…) qui a pour objet (…) de la vente et le remplacement de lentilles ophtalmiques » et sur l’article 25 de cette même loi qui stipule que « (…) nul ne peut poser l’un des actes décrits à l’article 16, s’il n’est pas optométriste ». 

Au soutien de sa position, l’Ordre des optométristes du Québec s’appuyait aussi sur quelques arrêts de jurisprudence, dont, tout particulièrement, l’important jugement rendu le 3 novembre 1994 par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Ordre des pharmaciens du Québec c. Meditrust Pharmacy Services Inc. (que vous pouvez aussi lire en cliquant ici), lequel est généralement considéré comme l’arrêt-clé déclarant illégale au Québec la vente de médicaments par Internet. 

Pour sa part, Coastal contacts inc. a invoqué, au soutien de sa contestation de la requête de l’Ordre des optométristes du Québec, que (a) elle exerçait ses activités en conformité avec les lois de la Colombie-Britannique (où elle était située), et (b) qu’en vertu des règles de droit, ses ventes de lentilles ophtalmiques étaient conclues en Colombie-Britannique et, donc, assujetties aux lois applicables dans cette province, et non à celles du Québec. 

Afin de rendre son jugement, la Cour supérieure a, en premier lieu, conclu que, en vertu des règles de droit applicables aux ventes faites à distance (que ce soit par voie postale, par catalogue ou, maintenant, par Internet), les ventes faites par Coastal contacts inc. à des clients du Québec étaient bel et bien conclues en Colombie-Britannique. 

En deuxième lieu, la Cour supérieure a aussi tenu compte du fait que, en vertu du contrat de vente électronique apparaissant sur les sites utilisés par Coastal contacts inc., le droit applicable était celui de la Colombie-Britannique. 

Sur ces prémisses, la Cour supérieure a émis les commentaires suivants : 

«[61]      Par conséquent, la situation ne présente pas le lien réel et substantiel avec le Québec qui permettrait de donner raison à l’Ordre. Même si c’était le cas, le Tribunal est d’avis que plusieurs arguments fondés sur les principes constitutionnels cités plus haut s’opposent à ce que le droit du Québec s’applique en l’instance.

[62]      Tout d’abord, rien dans la LSO n’indique d’intention législative claire de donner à la LSO la portée que l’Ordre souhaite lui donner. Au contraire, le Tribunal est d’avis qu’en l’absence de marques de cette intention, la seule interprétation possible de la LSO est une qui présume qu’elle a été édictée en conformité avec les limites territoriales aux pouvoirs législatifs de l’Assemblée nationale.

[63]      De plus, l’existence d’un ordre professionnel en Colombie-Britannique chargé d’une mission similaire à celle de l’Ordre assure que le public est protégé par des normes de pratique et qu’un recours existe en cas de faute professionnelle. Cet ordre professionnel a par ailleurs agi en justice contre Coastal par le passé pour faire respecter les normes alors en vigueur.

[64]      Finalement, les principes d’intégration économique et de libre-circulation des biens énoncés à l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 et réaffirmés à de nombreuses reprises par la Cour suprême militent en faveur d’une interprétation de la disposition en cause qui soit limitée au territoire du Québec.»

Quant aux activités du représentant québécois de Coastal contacts inc., la Cour supérieure a énoncé que : 

«[71]      Dans sa requête introductive d’instance, l’Ordre demande que la publicité faite par Gestion Progex soit déclarée un « acte ayant pour objet la vente » de lentilles ophtalmiques au sens de la LSO.

[72]      Le Tribunal est d’avis que cette demande doit être rejetée. En effet, même si le client trouve Coastal par le truchement de la publicité sur le site de Progex, la vente finale intervient tout de même sur le site de Coastal et selon les modalités qui y sont décrites.

[73]      En ce sens, la publicité faite par Progex n’est pas différente de l’achat de publicité dans un journal ou dans les transports en commun. Il semble au Tribunal que de qualifier la simple publicité comme « acte relatif à la vente » serait donner une portée beaucoup trop large à la LSO.

[74]      Par ailleurs, les membres de l’Ordre ont des obligations déontologiques relatives à la publicité qu’ils peuvent faire dans le cadre de leurs activités. Comme ni Coastal ni Progex ne sont membres de l’Ordre, ces obligations ne s’appliquent pas à elles. Par ailleurs, le fait que des obligations existent pour les membres de l’Ordre n’a pas, à notre avis, pour effet de qualifier ces gestes comme « actes ayant pour objet la vente » au sens de la LSO.»

Ce jugement est encore tout récent et l’Ordre des optométristes du Québec a jusqu’au 2 janvier prochain pour le porter en appel, ce qui m’apparaît fort probable compte tenu de son importance. 

Pourrait-on aussi appliquer ce jugement à la vente en ligne de médicaments? 

D’une part, la vente de médicaments au Québec n’est pas encadrée seulement par la Loi sur la pharmacie, mais aussi par plusieurs autres lois et règlements tant fédéraux que provinciaux. 

Il y a ensuite le jugement rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Ordre des pharmaciens du Québec c. Meditrust Pharmacy Services Inc. Par contre, il est important de se rappeler que ce jugement a été rendu sur une requête en injonction interlocutoire, ce qui fait en sorte que la Cour d’appel n’y a pas pris de position claire et définitive sur la question de la légalité de la vente de médicaments par Internet. En outre, ce jugement date aujourd’hui de plus de 20 ans et l’Internet, ainsi que les règles légales applicables à la vente par Internet et celles régissant les ventes interprovinciales et internationales, ont beaucoup évoluées depuis ce jugement. 

Aussi, (i) si la vente par Internet est faite par des pharmacien(ne)s du Québec, elle serait assujettie aux règlements régissant la pharmacie et la vente de médicaments au Québec, lesquels poseraient alors de sérieuses questions et de sérieux défis, (ii) si la vente est faite au Québec, ou à partir du Québec, par des personnes qui ne sont pas pharmacien(ne)s, elle contreviendrait manifestement aux lois et aux règlements du Québec, et (iii) toute vente de médicaments à un résident du Québec par une personne autre qu’un(e) pharmacien(ne) du Québec ne serait tout probablement pas remboursable par la Régie de l’assurance-maladie du Québec. 

Il reste par contre une possibilité (ou une brèche possible), soit, comme dans le cas de Coastal contacts inc. pour les lentilles ophtalmiques, la vente sur Internet, à partir de l’extérieur du Québec, à des clients québécois bénéficiant d’un régime privé d’assurance médicaments, de médicaments approuvés pour la vente au Canada faite par un vendeur qui, en vertu des lois et des règlements applicables à l’endroit où la vente est faite, a le droit de vendre des médicaments directement à des patients, et qui respecte les lois et règlements applicables à cet endroit pour telles ventes. 

Cela peut sembler limitatif, mais, en y regardant bien, il s’agit là d’une réelle possibilité, du moins jusqu’à ce que la Cour d’appel se penche de nouveau sur cette question. 

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire. 

Je profite enfin de ce dernier billet de 2014 pour vous souhaiter, à vous et à tous vos proches, une merveilleuse Période des Fêtes et, pour 2015, santé, bonheur, amour et de pouvoir réaliser vos vœux les plus chers. 

Jean

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