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Le renversement du fardeau de preuve en matière de congédiement pour absentéisme

Pour ceux qui ont lu mes blogues antérieurs, vous savez que depuis déjà plusieurs années, je suis avec attention, et en même temps anxiété, les développements en matière de congédiement pour absentéisme excessif. Et souvent, j’en viens à être préoccupé par la tendance actuelle qui rend pratiquement impossible de tels congédiements à moins de situations extrêmes. On décèle toutefois, dans certaines décisions, des tendances qui nous permettent de croire à de meilleurs jours.

L’une de ces décisions m’apparait être celle rendue par la juge Hélène Langlois de la Cour supérieure, le 19 avril 2014, dans l’affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et Me Richard Marcheterre, C.S.M. 500-17-075873-136. Rappelons brièvement les faits de cette affaire qui impliquait comme employeur, Bell Canada. La salariée dans cette affaire avait, au moment de son congédiement, plus de 22 ans d’ancienneté. Entre les années 2003 et 2009, à l’exception de l’année 2004, le taux d’absentéisme de cette dernière avait été substantiellement supérieur à celui du groupe, variant entre 27 % et 92 %, pour un taux d’absentéisme moyen de 55 % au cours cette période. En fait, entre 2006 et 2009, l’année de la terminaison de son emploi, la salariée n’avait jamais travaillé plus de 73 jours.

Cela dit, l’un des éléments particuliers de cette affaire est le fait que la salariée, au moment de son congédiement, était apte au travail. Un autre élément était le fait que l’absentéisme de la salariée n’était pas imputable à une seule cause mais plutôt, à des motifs variés. En effet, au cours des 7 années précédant son congédiement, la salariée s’était absentée pour un minimum de 25 diagnostics ou motifs variés, certains étant chroniques et d’autres plus généraux. Dans les circonstances, Bell Canada n’avait pas obtenu, avant de procéder à la terminaison de l’emploi de la salariée, une expertise médicale démontrant l’impossibilité pour la salariée de fournir une prestation de travail normale dans un avenir rapproché.

C’est justement cet aspect qui m’apparaît intéressant dans cette affaire. En effet, lors de l’arbitrage, Bell Canada a soutenu que lorsque l’on est en présence d’un taux d’absentéisme excessif, sur une longue période de temps, absentéisme attribuable à des motifs d’absences divers, il appartenait à la salariée d’établir qu’au moment de son congédiement, il était raisonnable de croire que son taux d’absentéisme diminuerait dans un avenir rapproché et qu’elle serait en mesure de fournir une prestation de travail continue. En d’autres termes, qu’une forme de renversement du fardeau de preuve s’opérait et qu’il n’appartenait plus alors à l’employeur de démontrer l’impossibilité pour la salariée, à l’avenir, de fournir une prestation de travail normale.

Dans sa décision maintenant le congédiement de la salariée, l’arbitre Marcheterre s’est dit en accord avec cette position concluant que le passé étant garant de l’avenir, quelle que soit la condition médicale de la salariée au moment de son retour au travail, il était raisonnable de croire qu’elle ne serait pas en mesure de fournir une prestation de travail normale, régulière ou continue dans un avenir rapproché. Face à une telle conclusion, j’étais particulièrement intéressé de voir le sort que réserverait la Cour supérieure à cette portion de la décision de l’arbitre Marcheterre suite au dépôt d’une requête en révision judiciaire par le Syndicat.

Bien que le raisonnement de la Cour supérieure sur le sujet soit plutôt succinct dans la décision (voir paragraphes 87 à 96), il est intéressant de constater que la Cour supérieure, s’appuyant sur les arrêts de la Cour suprême dans McGill et Hydro-Québec, retient que la capacité future d’un employé de reprendre et de maintenir son travail doit s’apprécier selon une évaluation globale de la situation depuis que l’employé s’absente et qu’il ne peut être fait abstraction du passé pour évaluer la contrainte excessive. Fort de cette constatation, la Cour se dit d’avis que la conclusion de l’arbitre à l’effet que la salariée, compte tenu de son dossier d’absentéisme, ne serait pas en mesure dans un avenir raisonnablement prévisible de fournir une prestation de travail normale, est raisonnable et qu’il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

Il sera intéressant de voir si le Syndicat décidera de porter en appel cette décision. Cela dit, la conclusion en matière de renversement du fardeau de preuve m’apparaît être la tendance à suivre dans le futur. En présence d’un absentéisme chronique pour plusieurs motifs, il n’est que normal que le fardeau de la preuve soit renversé et qu’il appartienne au salarié de démontrer que pour diverses raisons, il y a tout lieu de croire que son absentéisme chronique se règlera à l’avenir. Autrement, on se trouve à faire porter sur l’employeur un fardeau de preuve pratiquement impossible à rencontrer.

N. B. Après vérification, il s’avère que la décision n’a pas été portée en appel par le Syndicat.

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