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La Loi 101 et les petites entreprises

C’est à travers le prisme de sa langue commune qu’un peuple façonne son histoire, sa culture ainsi que sa façon de penser et de voir le monde. Au Québec, la langue française joue, non seulement, ce rôle véhiculaire, mais aussi et surtout, un rôle identitaire qui soutient la place centrale du français au sein de l’héritage culturel québécois. Conscient du rôle primordial de la langue dans le façonnement de son identité nationale, l’État québécois a choisi de se donner des outils de protection et de valorisation de la langue française, notamment, par le biais de l’adoption de la Charte de la langue française (la « Charte ») par le premier gouvernement péquiste de René Lévesque en 1977.

La Charte est venue confirmer le statut de langue officielle du français; la seule langue officielle du Québec. Son objectif est d’ailleurs de «faire du français la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires». Ce faisant, le législateur n’a pas perdu de vue l’importance de ne pas décourager l’entrepreneuriat. Il a, à juste titre, évité d’adopter des mesures trop restrictives qui auraient comme conséquence de limiter la création de petites entreprises par des anglophones ou des allophones québécois.

Le législateur, en plus de garantir aux membres de la minorité historique anglophone certains droits fondamentaux, comme ceux de se faire servir dans leur langue par l’administration publique, d’avoir accès à une éducation et aux tribunaux en anglais, a évité de soumettre les entreprises de moins de cinquante (50) employés à certaines dispositions de la Charte concernant la langue de travail.

La récente élection de Pauline Marois et du Parti Québécois est venu remettre à l’avant-plan la question de la langue française et de sa protection par l’État québécois. Tous se souviendront que la question de la protection de la langue française et du renforcement éventuel de la Charte a été mise de l’avant pendant la dernière campagne électorale québécoise. Le Parti Québécois s’est engagé à modifier la Charte et rendre applicables les dispositions sur la langue de travail aux entreprises de onze (11) employés et plus plutôt qu’à celles de cinquante (50) employés et plus comme le prévoit la loi actuelle. Le Parti Québécois annonçait aussi que cet engagement devait être tenu dans les cent (100) premiers jours de fonction du nouveau gouvernement.

Plutôt que de soupeser les bienfaits identitaires et les maux économiques engendrés par les changements prévus, nous choisissons de faire un bref survol juridique de la situation à laquelle ce changement donnerait naissance.

La Charte canadienne des droits et libertés garantit la liberté d’expression à l’article 2 b) et le droit à l’égalité à l’article 15 (1). Il semblerait qu’une telle modification puisse porter atteinte à ces deux libertés fondamentales. En effet, bien que certaines dispositions de la Charte aient déjà été attaquées avec succès dans le passé, les articles portant sur la langue du travail ne semblent pas avoir subi ce sort. Aléas constitutionnels obligeant, il est pratiquement impossible de prédire le résultat d’une telle démarche avec précision (surtout sans avoir accès au libellé précis), mais nous croyons qu’il n’est pas impossible que ces futures dispositions de la Charte liées à la langue de travail violent le droit à la liberté d’expression et le droit à l’égalité.

Plus tôt, nous avons formulé l’avis que la situation actuelle consistait un compromis généralement satisfaisant pour une grande majorité d’entreprises. Cet état de fait pourrait expliquer pourquoi les présentes dispositions n’ont pas été attaquées. Cette situation pourrait être appelée à changer si le gouvernement allait de l’avant avec les modifications législatives proposées. En effet, de telles modifications feraient tomber un nombre important de petites entreprises sous le joug de la nouvelle loi et il ne nous est pas difficile d’entrevoir la possibilité de recours de la part de ces entreprises de moins de cinquante (50) employés.

Par le passé, certains gouvernements québécois n’ont pas hésité à invoquer la clause dérogatoire afin de passer outre à une déclaration d’inconstitutionnalité rendue par le plus haut tribunal du pays. Nous nous rappellerons que Robert Bourassa avait payé un prix politique important en 1988 lorsque son gouvernement adopta la loi 178 (Loi modifiant la Charte de la langue française (1988)), laquelle comportait une clause dérogatoire permettant le maintien de l’affichage et de la publicité commerciale unilingue francophone à l’extérieur des commerces. Cette loi avait été décriée partout au Canada anglais et dénoncée par un comité de l’Organisation des Nations Unies car elle brimait certains droits individuels de la minorité anglophone du Québec. Néanmoins, le Parti Québécois a déjà indiqué dans le passé qu’il n’hésiterait pas à opter pour une clause dérogatoire dans certaines éventualités.

Il importe de souligner que pour l’instant, toutefois, ce scénario n’a que peu de chance de se réaliser étant donné le caractère minoritaire de l’actuel gouvernement péquiste et la faible probabilité qu’il puisse rallier à sa cause les partis d’opposition. Il sera intéressant de suivre l’évolution de ce dossier sous l’égide du présent gouvernement.

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