HomeBlogueInnovations juridiquesActualités juridiquesVous avez l’intention de lever des capitaux tout en demeurant « privé »?

Vous avez l’intention de lever des capitaux tout en demeurant « privé »?

Vous avez l’intention de lever des capitaux et demeurer «privé» sans avoir à déposer de documents auprès de l’Autorité des marchés financiers? Mon billet de cette semaine tentera de guider les émetteurs quant aux exigences de la Loi sur les valeurs mobilières (Québec) (la « Loi ») applicables dans ce contexte.

En vertu de la Loi, toute personne qui entend procéder au placement de titres est tenue d’établir un prospectus, sauf si une dispense est disponible.  Le Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et d’inscription (le « Règlement 45-106 ») prévoit que l’obligation de préparer un prospectus ne s’applique pas au placement de titres d’un « émetteur fermé » auprès d’une personne faisant partie d’une catégorie prescrite qui acquiert les titres pour son propre compte.  Un émetteur fermé n’a pas de document ou de déclaration de placement à déposer auprès de l’Autorité des marchés financiers ni de droits à payer lors de la levée de capitaux en vertu de la Loi.

Qu’est-ce qu’un émetteur fermé?

On entend par «émetteur fermé» l’émetteur qui remplit les conditions suivantes:

a) il n’est pas un émetteur assujetti (soit généralement un émetteur qui a émis des titres aux termes d’un prospectus) ou un fonds d’investissement;

b) ses titres, à l’exception des titres de créance non convertibles, sont à la fois:

i) assujettis à des restrictions à la libre cession qui sont contenues dans les documents constitutifs de l’émetteur ou dans des conventions entre les porteurs;

ii) la propriété véritable d’au plus 50 personnes (à l’exception de celles qui sont ou ont été des salariés de l’émetteur ou des sociétés du même groupe);

c) il remplit l’une des conditions suivantes:

i) il n’a placé ses titres qu’auprès de personnes faisant partie de la catégorie prescrite;

ii) il a réalisé une opération après laquelle ses titres n’étaient la propriété véritable que des personnes faisant partie de la catégorie prescrite et n’a depuis lors placé ses titres qu’auprès de ces personnes.

Quelles sont les personnes à qui des titres peuvent être émis?

Les personnes faisant partie de la catégorie prescrite sont notamment:

a) les dirigeants, administrateurs, salariés ou fondateurs de l’émetteur ou les personnes participant au contrôle de celui-ci;

b) les conjoint, père et mère, grands-parents, frères, soeurs, enfants ou petits-enfants des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur;

c) les père et mère, grands-parents, frères, soeurs, enfants ou petits-enfants du conjoint des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur;

d) les amis très proches des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur;

e) les proches partenaires des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur;

f) certains investisseurs qualifiés; et

g) une personne qui n’est pas du public.

Qu’est-ce qu’un investisseur qualifié?

Le Règlement 45-106 contient une liste détaillée d’investisseurs qualifiés, incluant une banque, une municipalité, un gouvernement, une société d’état, un courtier inscrit et une personne morale qui a un actif net d’au moins 5 000 000 $ selon ses derniers états financiers.  Une personne physique est également un investisseur qualifié si elle répond à des critères précis, incluant une personne physique qui, dans chacune des 2 dernières années civiles, a eu un revenu net avant impôt de plus de 200 000 $ ou, avec son conjoint, de plus de 300 000 $ et qui, dans l’un ou l’autre cas, s’attend raisonnablement à excéder ce revenu net dans l’année civile en cours; une personne physique qui, à elle seule ou avec son conjoint, a la propriété véritable d’actifs financiers (la valeur de la résidence principale n’entre pas dans le calcul des actifs financiers) ayant une valeur de réalisation globale avant impôt de plus de 1 000 000 $, déduction faite des dettes correspondantes; et une personne physique qui, à elle seule ou avec son conjoint, a un actif net d’au moins 5 000 000 $ (incluant la valeur nette de la résidence principale).

Critères subjectifs

Certaines catégories sont objectives, comme celle de l’investisseur qualifié, mais d’autres contiennent des critères de qualification subjectifs, par exemple « ami très proche », « proche partenaire » ou personne ne faisant pas partie du « public ».

Le terme « ami très proche »

Pour l’application de la dispense d’émetteur fermé, un « ami très proche » d’un administrateur, d’un membre de la haute direction ou d’un fondateur d’un émetteur, ou d’une personne participant au contrôle de celui-ci est une personne physique qui connaît assez bien l’administrateur, le membre de la haute direction, le fondateur ou la personne participant au contrôle et qui le connaît depuis assez longtemps pour être en mesure d’apprécier ses capacités et sa loyauté. Le terme « ami très proche» peut comprendre un membre de la famille qui n’est pas expressément mentionné dans la catégorie prescrite, dans la mesure où celui-ci satisfait aux critères indiqués ci-dessus.

La relation entre la personne physique et l’administrateur, le membre de la haute direction, le fondateur ou la personne participant au contrôle doit être directe. Par exemple, la dispense n’est pas ouverte pour un ami très proche d’un ami très proche d’un administrateur de l’émetteur. Une personne physique n’est pas un ami très proche du seul fait qu’elle est un parent, un membre de la même organisation, de la même association ou du même groupe religieux, un client ou un ancien client.

Le terme « proche partenaire »

Un « proche partenaire » est une personne physique qui a déjà eu des relations d’affaires suffisantes avec un administrateur, un membre de la haute direction ou un fondateur de l’émetteur, ou une personne participant au contrôle de celui-ci, pour être en mesure d’apprécier ses capacités et sa loyauté.

Une personne physique n’est pas un proche partenaire du seul fait qu’elle est un membre de la même organisation, de la même association ou du même groupe religieux, un client ou un ancien client.

La relation entre la personne physique et l’administrateur, le membre de la haute direction, le fondateur ou la personne participant au contrôle doit être directe. Par exemple, la dispense n’est pas ouverte pour un proche partenaire d’un proche partenaire d’un administrateur de l’émetteur.

La notion du « public »

La réponse à la question de savoir si une personne est un membre du public dépend des faits de chaque cas particulier. Les tribunaux ont donné une interprétation très large de la notion de « public » dans le contexte du commerce des valeurs mobilières et la question de savoir si une personne fait partie du public est fonction des faits particuliers de chaque cas, sur le fondement des critères élaborés par la jurisprudence.

Le test d’appel public à l’épargne élaboré par la jurisprudence

Dans l’éventualité où des actionnaires ne se qualifiaient pas selon la catégorie prescrite prévue au Règlement 45-106, l’émetteur serait considéré avoir fait un appel public à l’épargne, avec toutes les conséquences qui en découlent dans la mesure où aucune autre dispense de prospectus n’est disponible dans le cadre du placement.  La notion d’appel public à l’épargne est une question de faits, chaque cas en est un d’espèce et les conséquences pour une société d’effectuer ou d’avoir effectué, même par inadvertance, un appel public à l’épargne sont non négligeables.

La Loi ne définit pas la notion d’« appel public à l’épargne » laissant le soin à la jurisprudence de l’interpréter. Ainsi, deux jugements de principe constamment repris ont élaboré certains tests afin de déterminer si une société effectue un appel public à l’épargne. L’arrêt R. v. Piepgrass (1959) 29 W.W.R 218 a élaboré le test de la «  relation d’association » («  common bond of interest ») et l’arrêt S.E.C. v. Ralston Purina Co. (1953) 346 US 119 a élaboré celui du «  besoin de savoir » («  need to know»).

La relation d’association

Dans l’affaire Piepgrass, un dirigeant avait vendu des actions d’une société fermée à cinq personnes. La Cour détermina qu’il y avait eu appel public à l’épargne parce que les personnes qui avaient acheté des actions n’étaient en aucun moment les amis ou associés du dirigeant et ne partageaient pas avec lui de liens communs d’intérêt ou d’association. Le raisonnement de la Cour est basé sur le fait que les gens partageant des liens d’amitié ou d’association entre eux ont accès au genre d’information normalement contenu dans un prospectus, rendant celui-ci superflu. Dans l’affaire R. v. Buck River Resources Ltd., (1984) 25 B.L.R. 209, il fut précisé que la relation d’association doit être présente entre l’investisseur et un dirigeant de la société ayant accès à toute l’information qui serait autrement contenue dans un prospectus.

Le besoin de savoir

Dans l’affaire Ralston Purina, une société fermée permit à certains de ses employés d’acheter des actions de la société. La Cour suprême des États-Unis analysa les objectifs de la loi, notamment de protéger les investisseurs en assujettissant l’émetteur de titres à une divulgation complète de l’information par le biais d’un prospectus. Ainsi, il fut jugé qu’il est nécessaire de vérifier si l’employé a accès à toute l’information pertinente afin de déterminer si ce dernier a ou non besoin de la protection d’un prospectus. Par exemple, un haut dirigeant de l’entreprise ayant accès à toute l’information autrement contenue dans un prospectus ne sera pas, selon ce critère, considéré comme membre du public; à l’opposé, si l’employé n’a pas accès à ce genre de renseignements dans le cadre de son emploi, il jouit de la protection de la loi et a droit à la protection d’un prospectus car il est alors considéré comme un membre du public.

Jurisprudence au Québec

La Cour du Québec en appel d’une décision de la Commission des valeurs mobilières du Québec dans l’affaire Commission des valeurs mobilières du Québec c. Durocher, (500-27-13712-850, 21 avril 1989) et la Commission dans l’affaire Roland Gingras, (C.V.M.Q., Décision 92-DC-07, Bulletin XXIII no 36) ont introduit en droit québécois les tests de la relation d’association et du besoin de savoir.

Par conséquent, une société effectuera un appel public à l’épargne aux termes de la Loi dans l’éventualité où elle place ses titres auprès des membres d’une communauté qui ont besoin de la protection de la Loi de manière à prendre une décision d’investissement éclairée. Soit qu’un investisseur est inclus dans la définition du public s’il a besoin de connaître les renseignements sur un émetteur qui sont généralement contenus dans un prospectus, soit qu’il entretient avec l’émetteur une relation assez étroite pour éviter la nécessité d’un prospectus.

Conséquences d’effectuer ou d’avoir effectué un placement sans dispense de prospectus

La Loi prévoit que toute personne qui entend procéder au placement de titres est tenue d’établir un prospectus, sauf si une dispense est disponible. De plus, la personne qui exerce l’activité de courtier ou conseiller dans le cadre du placement de ce titre ne peut exercer cette activité que si elle est inscrite à titre de courtier auprès des autorités réglementaires, sauf si une dispense est disponible. Dans la mesure où un seul titre a été placé par l’émetteur auprès d’un actionnaire ne faisant pas partie de la catégorie prescrite prévue au Règlement 45-106, l’émetteur pourrait enfreindre la Loi, si aucune autre dispense n’est disponible, et ne serait plus considéré un « émetteur fermé » aux termes du Règlement 45-106. Un émetteur devrait donc exiger des représentations de chaque souscripteur confirmant que ces derniers font partie de la catégorie prescrite.

Tout placement fait en contravention de la Loi est illégal et donne ouverture à des sanctions pénales et civiles ainsi qu’à une interdiction d’opérations sur titres. Pour tout placement effectué sans prospectus ou dispense de prospectus, la Loi prévoit notamment que la personne qui commet l’infraction est passible d’une amende de 5 000 $ à 5 000 000 $. De plus, la personne qui a souscrit ou acquis des titres à l’occasion d’un placement d’un titre effectué sans le prospectus peut demander à son choix la nullité du contrat ou la révision du prix, sans préjudice à sa demande en dommages. Le demandeur peut rechercher en dommages, selon le cas, l’émetteur, le promoteur de l’affaire, leurs dirigeants ou, en certaines circonstances, le courtier chargé du placement.

De plus, un placement de titres en contravention de la Loi peut avoir des conséquences lors de transactions futures impliquant l’émetteur (fusion, regroupement, financement, premier appel public à l’épargne, transfert de titres, etc.).

  • Produits et solutions
  • Ressources
  • Compagnie
  • Connexion