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So-so-so ! Solidarité !! (ajout)

Trois (3) nouvelles récentes m’amènent à vouloir vous parler, en ce début d’année 2012 (que je vous souhaite bonne et heureuse), de grèves, de lock-out et de rapports de force.

Il y a tout d’abord le président de la CSN, monsieur Louis Roy, qui souhaite réouvrir (encore…) le débat sur les travailleurs de remplacement (c.-à-d. la «loi anti-scab»). C’est notamment ici. Il y a ensuite la grève à Alma (c’est partout, mais notamment ici, ici et ici) et il y a finalement les déclarations du président des TCA, monsieur Ken Lewenza,  à l’effet que l’année 2012 pourrait être «riche» en conflits de travail (c’est ici).

Bon… Avant de commenter tout ça, prenons un instant pour revoir certains principes et tenter de replacer la discussion dans un cadre plus large.

En théorie, la grève est, très simplement, une «cessation concertée de travail par un groupe de salariés» (voir l’article 1g) du Code du travail). Parce qu’elle survient dans un contexte précis (c.-à-d. la négociation d’une convention collective), cette cessation de travail offre une protection exceptionnelle aux grévistes : ils ne peuvent pas être congédiés en raison de la grève (notez que cela n’a pas toujours été le cas et que les premiers grévistes devaient présumer qu’ils étaient véritablement indispensables à leurs employeurs puisque, en tout temps, ces derniers conservaient la faculté de les congédier durant le conflit).

Toujours en théorie, cette cessation de travail permet aux grévistes d’exercer une pression économique sur leur employeur puisque, normalement, il aura de la difficulté à opérer son entreprise sans eux (l’idée étant que si un employeur risque de perdre 100,000$ par jour dans l’éventualité d’une grève, il est possible qu’il préfère assumer une augmentation des salaires qui lui coûtera 100,000$ par année).

Le lock-out opère substantiellement de la même façon, l’employeur ayant exceptionnellement le droit de ne pas fournir de travail à son personnel sans être obligé de les congédier (et d’assumer les coûts d’une fin d’emploi) et pouvant ainsi tenter de les convaincre d’accepter des conditions de travail moins avantageuses à long terme plutôt que de subir une importante perte de salaire à court terme.

Cela dit, la théorie n’amène pas toujours les effets pratiques escomptés. La grève est inefficace si l’employeur peut exploiter son entreprise avec d’autres salariés, ailleurs ou différemment et il en va de même pour le lock-out si les salariés peuvent se trouver des emplois bien rémunérés ailleurs.

Normalement, dans de tels cas, les salariés devraient normalement revenir au travail (puisque leur labeur n’a objectivement pas la valeur qu’ils pensent) ou l’employeur devrait fermer son entreprise (puisqu’il n’est manifestement pas capable de compétitionner dans son marché).

Malheureusement (ou heureusement, selon l’endroit où l’on se place sur l’échiquier des valeurs sociales – un terme qui me semble plus souple et plus juste que la simpliste échelle gauche-droite), ce n’est pas toujours ce qui se passe.

En effet, pour divers motifs (ne serait-ce que parce que l’homme est homme), les salariés refusent parfois d’accepter que leur employeur puisse les remplacer ou modifier ses opérations pour continuer d’exploiter son entreprise alors qu’ils sont absents. Dans un tel cas, plutôt que de rentrer au travail, ils tentent de forcer leur employeur à cesser ses opérations entièrement. C’est ce que les grévistes d’Alma tentaient de faire en bloquant l’accès à leur usine et c’est ce que la CSN tente de faire faire au gouvernement en demandant une modification aux dispositions relatives aux travailleurs de remplacement. Dans les deux (2) cas, ils ont tort et ce, tant à court terme qu’à long terme.

À court terme, les grévistes d’Alma ne peuvent pas légalement bloquer l’accès à leur usine; le piquetage doit servir à informer et non à entraver, à intimider ou à vandaliser. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que les dispositions anti-briseurs de grèves ont été adoptées : restreindre la violence sur les lignes de piquetage. La CSN fait quant à elle fausse route lorsqu’elle veut amender ses mêmes dispositions pour transformer le concept même de la grève puisque, même si elle y parvenait, le résultat serait pervers à long terme. En effet, associer cessation de travail à cessation de production signifierait, en théorie, que le point d’équilibre maxima durant une négociation serait seulement légèrement supérieur à celui permettant la viabilité de l’entreprise (la logique étant que je ne peux pas faire un dollar si je ne produis rien (en fait, je perds de l’argent en raison de mes frais fixes) et que, partant, je dois logiquement accepter toute entente me permettant de faire au moins un dollar). Or, que l’on soit pour ou contre, le Capital n’est pas prêt à se contenter d’un rendement légèrement supérieur à 0%. Créer et gérer une compagnie est une entreprise risquée et, si je peux faire 3% par année avec des obligations sans courir le moindre risque, pourquoi est-ce que j’accepterais un retour équivalent ou moindre pour un investissement risqué? Je vais plutôt rechercher un rendement passablement supérieur. Si, comme société, nous imposons au Capital un rendement trop bas, il va généralement refuser d’investir ou investir ailleurs. Tout cela est donc voué à l’échec.

De toute façon, le véritable enjeu est beaucoup plus fondamental. Avant, notre modèle économique (bien qu’imparfait) permettait le maintien d’un certain équilibre dans le marché (octroyant notamment un taux de rendement acceptable pour les actionnaires et un revenu raisonnable pour les salariés). Aujourd’hui, l’essor des multinationales (moins susceptibles aux arrêts de travail dans l’un de leurs établissements puisqu’elles sont capables de relocaliser la production), les nouvelles technologies (qui permettent également le déplacement du travail) et toute une série d’autres facteurs ont modifié cet équilibre. Notez qu’ils n’ont pas détruit l’équilibre complètement; il existe encore (même si le Capital semble s’adapter plus rapidement), mais il s’évalue sur un terrain de jeu beaucoup plus grand (parfois à l’échelle de la planète). C’est pour cette raison qu’une entreprise comme Rio Tinto Alcan peut rationnellement décréter un lock-out dans une entreprise possiblement profitable; considérer à l’échelle locale, cela sera absurde (les pertes liées au lock-out excéderont quasi-assurément les gains susceptibles d’être réalisés à la table et ce, même si on tient compte de la récurrence des coûts), mais considérer à l’échelle globale, lorsque l’on tient compte du fait que le prix mondial de l’aliminium est passé de 2750$US/t en mai 2011 à 2006$US/t le 3 janvier 2012 (un récent rapport indiquait que la moitié des alumineries mondiales seraient déficitaires lorsque le prix est inférieur à 2000$US/t- voir ici) et du fait que Rio Tinto Alcan dispose de nouvelles capacités de production ailleurs dans le monde, cela peut être logique car la «perte» reliée à l’inactivité doit être juxtaposée au coût normal des opérations et au profit pouvant être réalisé ailleurs dans le monde.

Dans un tel contexte, que fait-on? Les syndicats voudraient continuer à vivre en vase clos et accroître leurs acquis. Ils voudraient modifier localement la loi et/ou utiliser plus aggressivement leur droit de grève afin de compenser pour les effets de la globalisation. Ils voudraient que tous les emplois ayant fait notre fortune par le passé demeurent ici et soient de mieux en mieux payés. Je ne peux pas les blâmer. Mais je crois pas que cela va fonctionner. Dans un domaine guidé par les lois du marché, à qualité égale, l’acheteur finit presque toujours par acheter le produit accessible le moins cher. On peut faire toutes les lois que l’on veut, à long terme, c’est toujours difficile de vendre une Toyota à 75,000$ si notre acheteur peut se trouver une Honda à 35,000$ (même s’il doit payer 5,000$ pour la faire venir d’un autre continent). L’alternative? Il n’y a rien de simple, mais je dirais simplement que les syndicats (et, dans une certaine mesure, nos gouvernements) devraient plutôt focuser leurs énergies sur la formation continue, l’éducation et l’innovation (on peut vendre une Ferrari à 125,000$, nonobstant le prix des Honda) et sur le développement des mouvements sociaux à l’étranger (on pourrait facilement vendre la Toyota à 70,000$ si la Honda finissait par coûter 65,000$). Qui plus est, dans l’intervalle, plutôt que de frapper sur l’acheteur avec des lois et des grèves, j’essayerais de lui demander d’être solidaire et de le convaincre de continuer à rentabiliser ses infrastructures actuelles (c.-à-d. celles qu’il a ici), quitte à lui faire un prix d’ami.

Et vous? Vous feriez quoi?

***

AJOUT : Philippe Marcoux mentionnait ce matin, dans l’émission matinale à laquelle il participe, un fascinant reportage (surtout en raison de sa structure, mais le contenu est également intéressant) sur les conditions de travail des salariés chinois de l’industrie de l’électronique – le lien est ici (si l’émission sur la page d’accueil a changé, vous n’avez qu’à chercher l’émission #454 : Mr. Daisey and the Apple Factory). Je me permets de le porter à votre attention parce que je trouve que ça s’insère bien dans notre réflexion sur l’un des points mentionnés dans mon billet, à savoir «est-il plus efficace de se battre pour continuer à hausser nos propres conditions de travail ou de faire le nécessaire pour hausser les conditions de travail de nos compétiteurs?».

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