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L’équité salariale en l’absence de catégorie d’emploi à prédominance féminine

Dans le cadre de leur exercice d’équité salariale, plusieurs employeurs ont reçus (ou obtenus!) d’un ou de plusieurs syndicats représentant certains groupes de salariés, une demande d’établissement de programme distinct en vertu de l’article 11 de la Loi sur l’équité salariale (la « Loi »). Parfois, ces demandes visaient des groupes de salariés ne comportant aucune catégorie d’emploi à prédominance féminine. Il va s’en dire que l’exercice d’équité salariale se trouve drôlement simplifié dans de tels cas.

L’établissement de tels programmes avait souvent pour effet de priver certaines autres catégories d’emplois à prédominance féminine dans l’organisation de comparateurs masculins parfois très avantageux. Mais d’autre part, ces programmes permettaient aux parties patronales et syndicales de continuer à négocier les salaires et avantages des employés des groupes concernés sans craindre que la moindre modification viennent affecter tout le reste de l’organisation.

Or, peu d’employeurs étaient conscients du risque qu’ils couraient en agissant de cette façon. Heureusement pour eux, le 15 septembre dernier, la Cour d’appel a finalement confirmé la légalité de cette pratique dans l’arrêt Syndicat du personnel technique et professionnel de la Société des alcools du Québec (SPTP) c. Société des alcools du Québec, D.T.E. 2011T-614 (C.A.).

Rappelons les faits de cette affaire. Une association de salariés accréditée (le « STTSAQ »), représentant des salariés dits « cols bleus » de la Société des Alcools du Québec (la « SAQ »), avait demandé, en vertu de l’article 11 de la Loi, l’établissement d’un programme d’équité salariale distinct. La SAQ avait acquiescé à cette demande pour ce groupe qui ne contenait aucune catégorie d’emploi à prédominance féminine.

Dans le contexte d’un différend mettant en cause d’autres salariés de la SAQ, la Commission de l’équité salariale (la « CES ») qui était alors saisie d’une question n’ayant rien avec le programme distinct du STTSAQ a pris l’initiative d’examiner le droit de cette association de demander et d’obtenir un programme d’équité salariale distinct en vertu de l’article 11. Ayant obtenu les observations des parties concernées, la CES a décidé à la majorité que le STTSAQ ne pouvait pas formuler de demande de programme distinct en l’absence de catégories d’emploi à prédominance féminine dans son unité. Il est à noter que l’article 11 ne parle absolument pas de cette condition.

Pour justifier sa décision, la CES a indiqué que « [l]’absence de catégorie à prédominance féminine dans une association accréditée rend impossible la réalisation de l’équité salariale et le respect de la Loi ». En conséquence, la CES a ordonné l’annulation des programmes en cours et la constitution d’un nouveau comité d’équité salariale. Cette décision fut confirmée par la Commission des relations du travail (la « CRT »). La SAQ a, par la suite, demandé la révision judiciaire de cette décision.

Analysant la décision de la CRT confirmant la décision de la CES, la Cour supérieure a conclu que la conclusion de la CRT était mal fondée et qu’il n’y avait pas lieu de restreindre le droit des associations accréditées de se prévaloir de l’article 11 de la Loi et ce, même si l’unité représentée par le syndicat ne comporte que des catégories d’emploi à prédominance masculine.

Cette question a par la suite été soumise à la Cour d’appel. La Cour, confirmant la décision de la Cour supérieure, a indiqué qu’à son avis, l’interprétation donnée par la CRT au premier alinéa de l’article 11 de la Loi sur l’équité salariale, n’est pas raisonnable puisqu’elle découle d’un processus qui est basé sur le seul objectif général de la loi, processus qui fait fi du texte, du contexte et de l’historique de cette dernière. La Cour d’appel va même plus loin, indiquant qu’à son avis, la CRT a ajouté à la loi puisque l’article 11 ne prévoit aucune autre condition outre l’acquiescement de l’employeur à la demande du syndicat.

La Cour indique qu’il est vrai que l’établissement de programmes distincts visant des groupes composés de catégories d’emploi uniquement à prédominance masculine aura pour effet de priver certaines catégories d’emploi à prédominance féminine de comparateurs masculins avantageux et que la discrimination salariale perdura, ou du moins, une certaine mesure de discrimination. La Cour souligne toutefois que si on peut y voir une faiblesse de la loi, la CRT ne pouvait pas pour autant conclure que l’article 11 ne permettait à l’association accréditée de demander un programme distinct que si les salariés qu’elle représente forment un groupe au sein duquel se trouve au moins une catégorie d’emploi à prédominance féminine. La Cour souligne qu’une telle interprétation est incompatible avec le texte de l’article 11 et qu’il est clair que l’intention du législateur était de permettre l’établissement de programmes distincts tel que le démontrent l’historique de la loi et les débats parlementaires.

La Cour d’appel confirme donc à l’unanimité la décision de la Cour supérieure. Ce faisant, la Cour semble reconnaître la particularité des relations patronales-syndicales qui peut, comme on le voit souvent, expliquer des écarts salariaux inhabituels. Des conflits de travail, une rareté de main d’œuvre dans des emplois spécifiques ou même les conditions salariales applicables chez d’autres employeurs similaires sont autant de circonstances ayant pu mener à de tels écarts. Il restera à voir si cette décision fera l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême.

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