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La liberté contractuelle et la bonne foi

Alors que la bonne foi doit gouverner la conduite des parties en matière contractuelle, on peut se demander comment cette obligation se concrétise réellement au stade précontractuel et dans quelle mesure cette obligation limite la liberté contractuelle. La Cour supérieure précise un peu cette obligation floue et résolument factuelle qu’est la bonne foi à l’occasion de la décision Friedman c. Ruby alors qu’après des mois de négociation et d’échange de projets de convention, une partie reconsidère certaines clauses préalablement convenues.

Les faits à l’origine de cette affaire sont relativement simples. M. Ruby est propriétaire d’une société informatique, Jonar, et M. Friedman se montre intéresser à acquérir celle-ci. Une lettre d’intention est donc signée et plusieurs éléments sont dès lors convenus dont le prix d’achat, le maintien en poste de M. Ruby suite à la vente et la mise en place d’assurances sur la vie de ce dernier. On entreprend par la suite la rédaction d’un projet de convention. Sur demande de l’acheteur et afin d’éviter le paiement d’honoraires supplémentaires, seul l’avocat de M. Friedman participe à la rédaction de ce projet, l’avocat de M. Ruby ayant toutefois initialement préparé certaines recommandations fiscales. Les parties s’échangent divers commentaires et différentes versions de la convention. Voyant toutefois que les recommandations fiscales de son avocat ne sont pas intégrées, M. Ruby implique alors celui-ci avec pour seul mandat de les intégrer. Une convention modifiée est échangée et les parties, après discussions et modifications additionnelles, se trouvent prêtes à procéder à la transaction.

Or, M. Ruby, vraisemblablement sur recommandation de son procureur, avise M. Friedman qu’il ne peut finalement pas procéder avec la convention telle que rédigée et qu’il ne peut accepter les clauses touchant les assurances sur sa vie. L’avocat de M. Ruby soumet alors une version complètement révisée de la convention, ce que M. Friedman considère absolument inacceptable et contraire à la bonne foi et aux ententes intervenues entre les parties. Par l’entremise de son avocat, M. Friedman demande à être compensé pour le temps et les efforts investis dans la négociation de l’achat de Jonar. M. Ruby tente alors de discuter avec M. Friedman pour négocier les termes de la convention, sans succès.

M. Friedman entreprend une poursuite contre M. Ruby, alléguant que « Ruby acted capriciously, in bad faith and entirely without good reason. […] the extensive re-draft changes the original agreement in so many ways in favour of Ruby as to be wholly unacceptable to Plaintiff and constitutes a clear refusal of Ruby to enter into the Agreement contemplated by the Letter of Intent”.

La Cour se penche alors sur la question de savoir si M. Ruby a négocié de bonne ou de mauvaise foi après la signature de la lettre d’intention. La juge Suzanne Courteau détermine tout d’abord que la lettre d’intention n’était pas en soi contraignante mais que la conduite des parties doit tout de même être respectueuse de la bonne foi, même à ce stade précontractuel. Ainsi, bien qu’une partie puisse se retirer de négociations en cours par l’effet de la liberté contractuelle, encore faut-il que ce retrait se fasse pour un motif valable et d’une façon non abusive. En l’espèce, la Cour est d’avis que M. Ruby n’a pas manqué à son obligation de bonne foi puisqu’il était raisonnable qu’après consultation de son avocat il reconsidère certains éléments déjà convenus. Voici ce que la Cour écrit à cet égard :

[62] Would the lack of good faith have started on June 30th, when Stephen Ruby told Jeffrey Friedman he could not «go ahead with the Agreement as drafted «?

[…]

[64] Does this comment by Stephen Ruby amount to lack of good faith? The Court does not consider that it does, in the circumstances. Since November 2007, both Jeffrey Friedman and Stephen Ruby knew that Stephen Ruby’s attorney was not involved in the various drafts, first of the «Letter of intent», then of the «Agreement». Jeffrey Friedman accepted this.

[65] At this point, many months later, Stephen Ruby had to ask his lawyer to work on the draft agreement to add the tax provisions that had not been integrated in the previous drafts.

[66] It is unreasonable to think that Mr. Ruby would not then ask his attorney for advice on the other provisions of the draft agreement. This is what led Stephen Ruby to rethink some elements, most particularly with regards to the two insurance policies.

[67] Was it lack of good faith from Stephen Ruby not to consult with Me Nemeroff sooner? The Court does not believe so, in the circumstances known to both parties. On the contrary, the fact that Stephen Ruby now has his attorney integrate the tax provisions in the draft agreement is a concrete sign that he is still interested in closing the deal. His testimony confirms this.

[68] The Court believes that Stephen Ruby acted reasonably, in the circumstances, and that he was prudent and diligent to raise these issues before going ahead with the final revisions of the proposed agreement. No lack of good faith or no bad faith can be associated with this event.

Ainsi, M. Ruby n’a pas, selon la Cour, mis fin aux négociations, s’étant plutôt montré disposé à discuter jusqu’à la fin. Cette décision démontre donc, à notre avis, que la bonne foi n’est pas un carcan limitant ou obligeant les parties à procéder d’une certaine façon, même dans les cas plus particuliers. C’est plutôt de s’assurer de collaborer et d’agir avec honnêteté et loyauté, dans toutes circonstances.

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