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KADHAFI TUÉ: À QUI LES DROITS D’AUTEURS?

Bienvenue à tous sur le tout nouveau blogue traitant de droit d’auteur!

Tel que soulevé dernièrement dans le blogue Techdirt[1], il se pourrait que l’agence Getty, l’AFP et le reporter Philippe Desmazes aient revendiqué erronément un droit d’auteur au sujet de la désormais célèbre photo d’un Kadhafi sanglant, et qui constituerait la première photo alors disponible montrant la capture et la mort de l’ancien dictateur:

En effet, tel que rapporté dans un communiqué de presse de l’AFP[2], le photographe Philippe Desmazes rapporte les circonstances de la prise de la photo :

« I was covering the fall of Sirte and heard gunfire a little further west of where I was. […] So I asked the fighters to take me there. When I got there, they showed me big cylinders in which they said Kadhafi had been hiding when he was captured. A little further on, I noticed some fighters gathered around a phone. I was lucky because I was the only one to notice them. The owner of the phone showed me the arrest of Kadhafi which he had filmed a few minutes earlier. Given the ambient light, it was very difficult to take a screen grab. The fighters gathered round and gave me enough shadow to take the shot. I was really lucky […] »

Suite à la prise de cette photo, l’agence AFP et son partenaire Getty produisent une déclaration de droits en ligne sur leur site donnant crédit à l’AFP, Getty Images et Philippe Desmazes[3]. Sous la déclaration de droits apparaît la notice suivante :

“Getty Images reserves the right to pursue unauthorised users of this image or clip. If you violate our intellectual property you may be liable for: actual damages, loss of income, and profits you derive from the use of this image or clip, and, where appropriate, the costs of collection and/or statutory damages up to $150,000 (USD).”

Conséquemment, les personnes désireuses d’utiliser cette image doivent obtenir une licence de Getty Images et payer les droits exigés.

Maintenant, la question qui brûle les lèvres, Getty Images possède-t-elle vraiment un droit d’auteur sur la photo?

La Libye étant signataire de la Convention de Berne[4], nous pouvons nous attendre à ce que le droit d’auteur libyen contienne les protections minimales de cette convention internationale, chaque pays adhérent s’obligeant ainsi à rendre son droit interne conforme à cette convention. N’ayant malheureusement pas pu vérifier la législation nationale libyenne en droit d’auteur, je devrai me limiter à ces dispositions.

Le statut d’auteur d’une œuvre cinématographique, telle que la vidéo en l’espèce, est déterminé par le droit national. Cependant, prenant pour acquis que le soldat libyen a filmé seul l’arrestation de Kadhafi avec son propre cellulaire, celui-ci serait probablement le seul propriétaire de tout droit d’auteur sur cette œuvre cinématographique. Le soldat libyen profite alors de la protection nationale en droit d’auteur dans chacun des 162 pays signataires de la Convention de Berne.

Lorsque le photographe Desmazes prend un cliché de la vidéo sur l’écran du cellulaire, il ne crée pas une nouvelle œuvre originale et ne devient pas titulaire du droit d’auteur sur la photographie à moins d’une licence de la part du soldat cinéaste.

Au Canada, dans un cas semblable, il serait impossible de plaider la licence ou la cession implicite de droit d’auteur en se fondant sur le comportement permissif du soldat. La loi canadienne exige que toute licence ou cession de droit d’auteur soit faite par écrit, sous peine d’invalidité. Dans le présent cas, à moins de dispositions semblables dans la loi libyenne, il pourrait y avoir cession ou licence verbale ou implicite. Mais considérant les faits, j’aurais tendance à croire que le soldat n’a pas consciemment cédé ou octroyé une licence permettant l’exploitation commerciale sans redevances et sans crédits.

Au regard du droit canadien applicable, la photo en l’espèce serait probablement une reproduction non-autorisée. L’AFP et Getty Images pourraient alors essayer difficilement d’argumenter que la photo ne reproduit pas « une partie importante de l’œuvre ». Les critères à analyser sont la qualité et la nature de la reproduction : « l’élément déterminant est la mesure dans laquelle une partie importante du talent et du jugement exercés par son créateur se retrouve, sur le plan qualitatif et non quantitatif, dans la prétendue reproduction »[5]. En l’espèce, la photo reproduit probablement en un cliché le meilleur passage de la vidéo où le sujet est bien le dictateur Kadhafi mourant.

Ainsi, il est fort possible que la photo pour laquelle Getty Images exige paiement de licence soit une reproduction non-autorisée d’une œuvre appartenant à un soldat Libyen, qui je suis sûr, est bien loin de toutes ces considérations.

Merci pour vos commentaires. Je tenterai de répondre le mieux possible à vos questions!

 


 

[1] Mike Masnick. “Who Gets The Copyright On The Photo Of A Beaten Gaddafi, Captured Off A Cameraphone”, Techdirt.com, 25 octobre 2011.

[2] “World exclusive: AFP is the first news agency to transmit photo of dead Moamer Kadhafi”, afp.com, 20 octobre 2011.

[3] Getty Images. “A video grab taken from the mobile phone”, gettyimages.co.uk, 20 octobre 2011.

[4] Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.

[5] Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363; Édutile Inc. v. Automobile Protection Association (APA), [2000] 4 F.C. 195 (F.C.A.).

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