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Droits différents, cause commune

J’ai déjà discuté sommairement avec vous de la question des recours nationaux (voir mon billet ici: http://bit.ly/NqPz06). Je dis bien sommairement parce que, comme je le soulignais à l’époque, la question globale est trop complexe et nuancée pour que je puisse en traiter intelligemment dans un billet. Reste que, généralement, les tribunaux québécois sont de moins en moins réfractaires à l’idée des recours nationaux. La très récente décision de la Cour d’appel dans Union des consommateurs c. Bell Canada (2012 QCCA 1287) illustre bien cette réalité.

Cette décision traite de l’épineuse question de savoir s’il est possible d’autoriser un recours national (ou couvrant des membres de plus d’une province) même si le droit de différentes provinces régira le recours pour différents membres du même groupe. En effet, alors que certains ont suggéré que l’autorisation d’un recours collectif national ne serait pas appropriée dans de telles circonstances, la Cour d’appel n’y voit pas là un obstacle substantif.

Dans cette affaire, l’Appelante désire intenter un recours collectif contre l’Intimée pour le compte des personnes qui, le ou depuis le 28 octobre 2007, au Québec ou en Ontario, étaient ou se sont abonnées à son service résidentiel Internet ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line).

En première instance, la juge saisie de la demande d’autorisation en est venue à la conclusion que la demande ne pouvait pas être autorisée, principalement parce que les membres du groupe n’étaient pas tous dans la même situation juridique et factuelle. Qui plus est, elle était d’opinion qu’il n’était pas possible ou souhaitable, en l’instance, de simplement restreindre le groupe proposé.

Un banc unanime de la Cour d’appel composé des trois Jacques (les Honorables juges Chamberland, Dufresne et Léger) vient renverser cette décision et autorise le recours collectif, mais pour un groupe plus restreint que celui proposé par l’Appelante. C’est dans ce contexte que se pose la question de savoir s’il est approprié d’inclure dans ce groupe des résidents ontariens, à la lumière du fait que ce sont les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur ontarienne qui s’appliquera à leur recours.

Le juge Chamberland, écrivant pour la Cour, indique que cette dualité juridique compliquera certes le recours, mais qu’il ne s’agit pas en soit d’un motif pour exclure les résidents ontariens alors que les tribunaux québécois ont clairement juridiction pour entendre ledit recours (l’Intimée a son siège social au Québec). La question centrale à laquelle doit répondre le juge saisi de la demande d’autorisation est de déterminer si l’application de lois différentes fera perdre au recours sa dimension collective. À la lumière des faits en l’espèce, le juge Chamberland en vient à la conclusion que la réponse à cette question est négative:

[120] Comme souvent en cette matière, chaque affaire est différente de l’autre. Il s’agit, dans chaque cas, de voir si l’assujettissement du recours à plusieurs régimes juridiques fait perdre au recours collectif sa dimension collective, ou non. Il ne suffit pas de constater que les recours des membres sont assujettis à deux ou plusieurs régimes juridiques, il faut voir si ces régimes sont substantiellement différents les uns des autres. L’assujettissement du recours à plus d’un régime juridique risque certes de complexifier l’affaire, mais cela ne devrait pas constituer en soi un empêchement à l’autorisation d’exercer le recours collectif à moins que les divers régimes comportent des divergences significatives de l’un à l’autre au point de faire perdre au recours sa dimension collective.

[…]

[122] Dans le cadre de l’analyse qu’impose l’alinéa a) de l’article 1003 C.p.c., la juge de première instance devait se demander si les recours des abonnés ontariens de l’intimée soulevaient des questions communes avec celles soulevées par les recours des abonnés québécois.

[123] Or, selon les allégations de la requête et la preuve, les abonnés ontariens de l’intimée ont signé le même contrat de service que les abonnés du Québec et ils ont été assujettis aux mêmes mesures de lissage de trafic; leur recours soulève donc, à première vue, des questions identiques, similaires ou connexes à celles des abonnés québécois, et ce, malgré la possibilité qu’il soit assujetti à un cadre juridique différent.

[124] Toute autre conclusion impliquerait, selon moi, qu’au Québec une demande d’autorisation d’un recours collectif visant à regrouper des consommateurs provenant de différentes provinces serait nécessairement vouée à l’échec sous l’angle de l’alinéa d) de l’article 1003 C.p.c. Une telle situation me semble indésirable dans un contexte économique globalisé qui permet à des consommateurs dispersés à travers le pays, y compris des consommateurs québécois, de conclure des ententes identiques avec un même commerçant.

La conclusion de la Cour aurait-elle été différente si le groupe regroupait des résidents des dix (10) provinces canadiennes et non seulement deux (2) comme en l’espèce? Difficile de répondre à la question, mais il est clair de cette décision qu’on ne peut fermer la portée à un recours de portée nationale au seul motif que les membres ne seront pas tous régis par la même loi.

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