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Des dérives du totalitarisme…

Hey boy… Nous voilà repartis pour une autre édifiante séance d’échanges philosophiques entre la présidente de la CSN, madame Claudette Carbonneau, et le chef de l’ADQ, monsieur Gérard Deltell.

L’histoire est notamment ici et ici, mais je résume : samedi, lors du conseil général de l’ADQ, monsieur Deltell suggère (notez que je n’ai pas eu accès au verbatim des déclarations des deux parties intéressées) que les syndicats ne puissent plus utiliser les cotisations de leurs membres afin de «prendre des positions politiques ou idéologiques» (lire financer des partis politiques et/ou faire du lobbysme), ce à quoi madame Carbonneau répond (à l’occasion du congrès de la CSN – tenu en même temps par un grand hasard comico-tragique) que l’ADQ veut «bâillonner les gens» et que cela est susceptible de mener le Québec dans «l’antichambre des États totalitaires», ce à quoi monsieur Deltell réplique dimanche en déclarant «Madame Carbonneau, je vais être bien clair avec vous. Vous prenez votre retraite, merci pour les services rendus. Allez rejoindre Gérald Larose. Vous allez faire une bonne paire avec des déclarations inacceptables.»

Bon… Outre le fait qu’il m’appert que la qualité des échanges d’idées au Québec semble s’accroître de jour en jour (ahh… l’ironie), je ne commenterai pas le ton des échanges entre monsieur Deltell et madame Carbonneau. Cela dit, je vais me permettre de faire quelques observations sur le fond du débat puisque, n’en déplaise à madame Carbonneau, la question de l’utilisation des cotisations syndicales à des fins «non-opérationnelles» est importante et sérieuse.

Afin de comprendre pourquoi, il faut tout d’abord se rappeler qu’au Québec (comme ailleurs en Amérique du Nord), nous avons un régime de rapports collectifs du travail inspiré du Wagner Act (i.e. la National Labor Relations Act présentée en 1935 par le sénateur Robert F. Wagner). Sous ce régime, les syndicats, une fois accrédités, disposent d’un monopole de représentation (i.e. ils sont les seuls à pouvoir représenter les salariés visés par leurs accréditations et ce, que les salariés en question soient membres du syndicat concerné ou non). Il y a donc constamment, au Québec, des salariés qui sont syndiqués (i.e. représentés par un syndicat) «contre leur gré».

Qui plus est, au Canada, les salariés syndiqués sont assujettis à ce que nous appelons le «précompte obligatoire» ou la formule Rand (du nom du juge Ivan Rand de la Cour suprême du Canada qui avait introduit le précompte dans une convention collective de Ford à l’occasion d’un arbitrage de différend en 1945). En vertu de ce principe, tous les salariés syndiqués doivent verser une cotisation syndicale à leur syndicat et ce, qu’ils soient membres dudit syndicat ou non (le concept étant qu’il est logique que le salarié soit obligé de cotiser puisque le syndicat est «obligé» de le représenter). Les syndicats peuvent ensuite choisir d’investir cet argent à leur gré (en finançant le NDP par exemple) et, par conséquent, il y a des salariés qui aident financièrement le NDP même s’ils sont philosophiquement opposés aux idées de ce parti (voire qu’ils sont membres de l’ADQ ou du PCC).

C’est cette forme d’assistance forcée qui est au cœur du «débat» entre madame Carbonneau et monsieur Deltell, ce dernier ne proposant pas de «bâillonner» qui que ce soit (les syndicats demeureraient libre de faire ce qu’ils veulent), mais simplement de ne plus forcer les salariés à financer les choix «politiques» de leur syndicat.

Il est d’ailleurs fondamental de bien définir le débat puisque si l’on regarde erronément la question sous l’angle de la liberté d’expression syndicale (comme le fait Yves Boisvert ici), il est impossible de soutenir le projet de l’ADQ (parce qu’on voit mal comment le gouvernement pourrait indiquer à un syndicat les sujets dont il peut ou non traiter en public). Cela dit, dans la présente affaire, c’est seulement un volet, relativement mineur, de la cotisation syndicale que l’ADQ veut exclure du précompte obligatoire (on peut d’ailleurs noter que, malgré le fait que la formule Rand ait été jugée illégale dans certains états européens, personne ne semble remettre sa légitimité en doute dans le présent dossier).

D’un point de vue strictement juridique, l’utilisation de cotisations obligatoires pour des fins politiques a été jugée légale par le Cour suprême du Canada dans l’affaire Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (un jugement de 1991). Cela ne règle cependant rien puisque le fait qu’il soit légal de faire quelque chose ne signifie assurément pas qu’il soit illégal de ne pas le faire (i.e. ce n’est pas parce qu’il est légal de s’acheter une Ferrari qu’il est illégal de ne pas s’en acheter une). En d’autres mots, les gouvernements canadiens pourraient tout à fait abroger le précompte obligatoire et cela n’aurait strictement rien de «totalitaire». En fait, puisque le précompte obligatoire est possiblement une forme de violation à la Charte (voir les motifs du juge La Forest dans Lavigne), l’absence de précompte est a priori «plus légale» (et assurément plus «libérale») que son imposition. D’ailleurs, plusieurs pays «libéraux» ont restreint le droit au précompte obligatoire (dont les États-Unis d’Amérique -voir les décisions Communications Workers of America v. Beck, 487 U.S. 735 (1988) et Lehnert v. Ferris Faculty Association, 500 U.S. 507 (1991)).

Ainsi, même si la question de fond demeure entière (et ressort exclusivement du domaine politique), une chose est claire… une proposition comme celle de l’ADQ n’a rien de totalitaire (étant – d’un point de vue philosophique – davantage libérale) et, même si on peut s’y opposer pour des raisons diverses, elle devrait être considérée sérieusement et avec sang-froid.

Et vous? Que pensez-vous de l’utilisation des cotisations obligatoires à des fins politiques partisanes?

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