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Bailleurs : votre locataire est-il une coquille vide?

Il arrive fréquemment que des entreprises ou des sociétés de professionnels occupent des locaux et y exercent leurs activités bien que le bail lui-même ait été signé non par leur société opérante mais par leur «société de gestion» qui n’a pas d’actifs et qui, à toutes fins pratiques, est une coquille vide. Dans un tel cas, les recours du bailleur sont-ils limités à la coquille vide ou peut-il se tourner contre l’occupant réel des lieux loués (la société de professionnels), ou ses dirigeants?

Dans l’affaire Rhythm Properties Inc. c. 9035-0340 Québec Inc. et Watson, Poitevin, Turcot, Prévost, s.e.n.c.r.l. (les «notaires»), le juge Claude Auclair, de la Cour supérieure, a eu à répondre à cette question. Dans son jugement, daté du 23 février 2012, le juge a statué que, même si la société qui avait signé le bail en tant que locataire n’avait pas de numéro de téléphone ni d’adresse distincte de celle des notaires, qu’elle n’avait pas d’employés ni de clients (autre que les notaires) et aucune autre opération, et que les deux sociétés étaient contrôlées par les mêmes individus, le bailleur ne pouvait prétendre avoir un recours contre l’occupant des locaux (la société de notaires), ou ses dirigeants. (Noter que, dans un jugement rendu le même jour, le juge Auclair a rejeté une requête pour ordonnance de sauvegarde dans cette affaire, le critère d’urgence n’étant pas rempli).

Pour arriver à cette conclusion, le juge Auclair s’est appuyé sur plusieurs autres décisions, dont celle de la Cour d’appel dans l’affaire Monit . Il a notamment reproduit et appliqué les propos de la Cour d’appel dans l’affaire Monit, selon lesquels un bailleur qui conclut un bail avec une société qui n’a aucun bien et qui n’a été constituée que pour conclure ce contrat ne peut, en l’absence de mauvaise foi, se tourner vers les dirigeants de cette société pour exécuter le contrat.

Le juge Auclair a donc accueilli la requête des notaires en rejet de la requête introductive d’instance, en ce qui les concerne. Cette requête en rejet s’appuyait sur l’article 54.1 du Code de procédure civile, qui prévoit qu’une requête en rejet peut être accueillie si la requête introductive d’instance constitue une utilisation de la procédure de manière excessive ou de manière à nuire à autrui.

En l’espèce, selon le paragraphe 4 du jugement du juge Auclair, le bailleur ne demandait pas la levée du voile corporatif, mais fondait uniquement sa requête sur la relation de mandat, prétendant que la société n’était que l’agent ou le prête-nom des notaires. Il est ressorti de la preuve que le bailleur savait depuis longtemps que la corporation ayant signé le bail était différente des occupants (les notaires), car il avait exigé des cautionnements pour les premiers cinq ans du bail (alors que la durée du bail était de dix ans et dix mois). De plus, le bailleur avait renoncé à exiger un cautionnement lors du renouvellement du bail. Par conséquent, le juge a statué que :

«l’argument que la corporation agit comme mandataire est farfelu tout comme l’argument de prête-nom puisqu’il n’y a eu aucune cachette de faite au locateur.»

Et il a conclu le jugement comme suit :

«Le Tribunal voit plutôt une procédure servant à nuire dans le sens que son maintien forcerait les notaires à négocier ce qu’ils n’ont pas à négocier ou à se défendre contre une procédure clairement abusive, frivole et vexatoire dans les circonstances. Il serait injuste de permettre la continuation du recours. C’est pour ces raisons que le Tribunal intervient en vertu des articles 54 et suivants.»

Cependant, dans un jugement du 25 avril 2012, la Cour d’appel a acueilli la requête pour permission d’appeler du bailleur. En voici les motifs :

«[1] The applicant seeks leave to appeal a judgment of the Superior Court that granted a motion to dismiss presented pursuant to article 54.1 C.C.P. The motion to dismiss was taken in the name of one defendant, the notarial firm of Watson, Poitevin, Turcot, Prévost, in an action that also impleads 9035-0349 Quebec Inc as a co-defendant. The allegations in the applicant’s pleadings make it clear that the latter defendant is the management company of the notarial firm.

[2] The action in the Superior Court is undertaken by the lessor of premises in which the notarial firm carries on its practice. While the management company is the named lessee on the lease with the applicant, it has sub-leased the premises to the notarial firm.

[3] The claim against the defendants arises out of a dispute with respect to rent owing under the lease. The applicant has impleaded the notarial firm, despite its not being the lessee, on the basis that the management company is in effect the «prête-nom» and thus the mandatary of the notarial firm, thus making the latter a solidary debtor. It is further alleged that the management company is an empty shell whose capacity to pay the rent is entirely dependent on funds that the notarial firm provides it.

[4] The motion to dismiss before the Superior Court judge proceeded on the basis of the proceedings and exhibits, as well as the transcript of an examination on discovery of two representatives of the applicant. The applicant claims that the judgment dismisses its claim against the notarial firm prematurely, without it having the opportunity to lead evidence to establish its liability.

[5] The case law under article 54.1 C.C.P. continues to be in a state of evolution given its relatively recent adoption by the legislature. Without commenting on whether or not I consider the judgment of the Superior Court to be well-founded, I believe this case to be an appropriate one for the Court of Appeal to determine whether the applicant should have been entitled to take its case to trial against the notarial firm, especially in light of the fact that it will in any event proceed against the management company. I note as well that both defendants in the Superior Court are represented by the same counsel.»

L’avenir nous dira si l’appel sera accueilli ou non, potentiellement pour des raisons d’ordre procédural se rattachant à l’évolution de la jurisprudence relative à l’art. 54.1 C.p.C., et quelle sera en fin de compte la décision sur le fond en ce qui a trait à la question de la réduction de loyer appliquée par le locataire et contestée par le bailleur, laquelle est mentionnée dans le jugement précité portant sur l’ordonnance de sauvegarde.

Quoi qu’il en soit, il est à retenir que, comme l’a rappelé le juge Auclair, le bailleur ne peut invoquer sa propre turpitude. Plus précisément, le bailleur qui conclut un bail avec une coquille vide (laquelle, n’ayant pas d’activités, n’est pas l’entité utilisant les lieux loués), ne pourra, en l’absence de mauvaise foi ou d’autres circonstances particulières, prétendre avoir des recours contre les dirigeants de cette société ou contre l’utilisateur réel des locaux, si le bailleur a renoncé à obtenir des garanties additionnelles de la part de ceux-ci.

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