HomeBlogueInnovations juridiquesActualités juridiquesAllard c. Myhill – Pour une approche raisonnée de la responsabilité de l’administrateur

Allard c. Myhill – Pour une approche raisonnée de la responsabilité de l’administrateur

En novembre dernier, la Cour d’appel a rendu un important jugement sur l’influence réciproque de la responsabilité de l’administrateur et d’une convention unanime d’actionnaires retirant tous les pouvoirs au conseil d’administration, dans l’affaire Allard c. Myhill, 2012 QCCA 2024. Poursuivis par les employés de la société Inter pour les dettes liées aux services que ceux-ci ont exécutés, les trois dirigeants d’Inter sont tenus responsables à titre d’administrateurs de fait, alors qu’une convention unanime d’actionnaires avait retiré tous les pouvoirs au conseil d’administration d’Inter pour les attribuer à son actionnaire, une société nommée Delstar, dont les trois dirigeants en question sont administrateurs.

En effet, le droit des sociétés reconnaît à l’administrateur de fait une responsabilité, puisqu’un administrateur se définit (selon la LCSA) comme « [i]ndépendamment de son titre, le titulaire de ce poste ». Également, la législation –à son article 146 (5) dans le cas de la LCSA– permet aux actionnaires de retirer certains pouvoirs aux administrateurs, auquel cas, « les droits, pouvoirs, obligations et responsabilités d’un administrateur […] sont dévolus aux parties à la convention auxquelles est conféré ce pouvoir ». De la lecture de ces deux règles, on aurait pu comprendre que lorsqu’une convention unanime d’actionnaires (ci-après « CUA ») retire tous les pouvoirs aux administrateurs, (1) la responsabilité échoit aux actionnaires ou au tiers à qui les pouvoirs ont été conférés (2) aucun administrateur ne peut être tenu responsable. (C’était d’ailleurs l’interprétation du juge de première instance : Allard c. Myhill, [2005] R.J.Q. 1189, par. 158.)

Ce n’est toutefois pas l’interprétation retenue par la Cour d’appel. Lorsqu’une CUA retire tous les pouvoirs aux administrateurs, (1) la responsabilité échoit aux parties à la convention auxquelles sont conférés ces pouvoirs, mais (2) les personnes physiques « qui de fait exercent le contrôle décisionnel ultime sur le fonctionnement de la société » peuvent être tenues responsables. Selon la Cour, l’article 146 (5) LCSA « ne fait que codifier la règle voulant que la responsabilité doit incomber à ceux qui ont le contrôle ultime sur les destinées de la société opérante ». Cette affirmation est une demi-vérité : selon moi, l’article 146 (5) ne codifie pas la règle selon laquelle la responsabilité doit incomber à ceux qui ont le contrôle ultime sur les destinées de la société, mais la précise. La disposition indique à qui revient la responsabilité lorsque les administrateurs se voient retirer leurs pouvoirs. Elle a pour but, selon le rapport Dickerson, « d’empêcher tout actionnaire qui [est partie à une CUA] de l’invoquer en défense dans une action alléguant un manquement à ses devoirs d’administrateur » (Rapport Dickerson, par. 300).

Il est donc clair que l’intention législative était de transférer uniquement aux actionnaires (ou à un tiers contractant) la responsabilité qui découle de l’exercice des pouvoirs. Autrement dit, si les administrateurs n’ont pas de pouvoirs, ils ne peuvent encourir de responsabilité. Il me semble que le législateur devait être conscient lors de l’adoption de l’article en question qu’un actionnaire (ou un tiers) peut être une personne morale insolvable lors de la réclamation. Cela dit, s’appuyant sur la célèbre métaphore du « paravent derrière lequel les administrateurs individus se dissimulent », la Cour d’appel tranche que, dans tous les cas, les personnes physiques « qui de fait exercent le contrôle décisionnel ultime sur le fonctionnement de la société » peuvent être tenus responsables des dettes liées aux services rendus par les employés (LCSA, art. 119). Cela me semble une interprétation très large du régime de responsabilité pour dettes liées aux services rendus par les employés, d’autant plus que ce même tribunal avait rappelé cinq ans plus tôt que ce type de régime de responsabilité devait recevoir une interprétation restrictive en raison de son caractère exorbitant du droit commun (Allman c. Laplante, [2007] J.Q. no 11760 (LN/QL)). La Cour d’appel a tranché afin de protéger les employés en raison de leur manque d’information quant à la situation financière de l’entreprise, une préoccupation sous-jacente valable. Fallait-il pour autant recourir à la levée du voile corporatif, concept juridique si inefficace ?

  • Produits et solutions
  • Ressources
  • Compagnie
  • Connexion